A l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le ministre des Outre-mer a reçu le rapport de Justine Bénin contre ces violences en Outre-mer. Un état des lieux alarmant, qui rejoint celui du CESE : en Outre-mer, les violences envers les femmes sont plus nombreuses que dans l’Hexagone.
13 femmes ont été tuées par leur mari ou leur ex-conjoint en 2022 dans les Outre-mer, soit 11 % du total des féminicides en France pour une population égale à 4 % de la population française. Sept ans après son avis sur le sujet, Conseil économique social et environnemental (CESE) réalerte sur ces chiffres et poursuit son combat contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer. Mardi 26 novembre, Inès Bouchaut Choisy (Groupe des Outre-mer) et Viviane Monnier (Groupe des Associations) présentaient sa résolution lors d’une séance plénière. Au lendemain de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le CESE consacrait en effet sa séance plénière à ce sujet qui traverse nombre de ses travaux. En effet, dans le prolongement des précédents travaux du CESE, l’avis de 2017 » Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer », et l’étude de 2014 « Combattre toutes les violences faites aux femmes, des plus invisibles aux plus insidieuses », les deux délégations du CESE (Droits des femmes et à l’égalité, et Outre-mer) ont souhaité faire le point à nouveau ce sujet sensible.
« Malgré des avancées législatives déployées pour cette lutte, une certaine libération de la parole des femmes, l’amélioration des conditions d’accueil et de formation des recueilleurs de plaintes, force est de constater la prégnance des violences faites aux femmes dans les Outre-mer. Chaque territoire d’Outre-mer est différent. Mais sur tous les territoires pour lesquels des chiffres existent, on constate une augmentation des violences (notamment psychologiques). Les violences au sein du couple et de la famille mais aussi au travail, les violences psychologiques, physiques, économiques peuvent se cumuler et auxquelles s’ajoutent des facteurs aggravants comme l’insularité, la proximité des victimes avec l’entourage, la persistance de coutumes patriarcales … » insiste le CESE. Des obstacles et freins nombreux qui soulèvent selon lui plusieurs questions : « Les dispositifs mis en place (téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement, éviction du conjoint violent) ont-ils fait preuve de leur efficacité ? Quelle est la connaissance de ces dispositifs sur le terrain ? Comment renforcer la réponse pénale ? Quelles sont les spécificités de ces territoires au regard des violences ? Comment faire ressortir davantage le coût humain mais aussi social pour la collectivité ? Comment impliquer les élus locaux et mobiliser les acteurs de la société civile ? Comment soutenir davantage les associations ? ».
Le CESE déplore que depuis la publication de ses précédents travaux, le constat reste le même avec un niveau de violences significativement plus important dans les Outre-mer qu’en Hexagone, notamment dans la sphère familiale. Il évoque un rapport d’information du Sénat de 2023, selon lequel la proportion de familles monoparentales parmi les familles avec enfants peut aller jusqu’à 59 % en Martinique (contre 25 % en Hexagone) et la part des naissances non reconnues par le père est de 68 % en Guyane mais de 26 % à La Réunion contre 10 % en Hexagone). Le contexte économique et social s’étant par ailleurs dégradé, les populations les plus pauvres sont confrontées à des difficultés importantes, notamment de grande précarité. « En dépit de l’engagement des actrices et acteurs locaux dans la lutte contre les violences, les signaux d’alertes lancés par plusieurs rapports (notamment parlementaires) montrent que la situation des femmes dans les Outre-mer reste toujours préoccupante. Ce projet de résolution a été mené pour réactualiser les données mises en lumière dans l’avis du CESE de 2017, et réinterroge les professionnelles et professionnels de terrain qui accompagnent quotidiennement les victimes enfin, il évalue la déclinaison effective des politiques publiques en proposant des axes d’amélioration. La résolution présentée à la séance plénière du mardi 26 novembre a été réalisée par la Délégation aux Droits des femmes et à l’égalité et par la Délégation aux Outre-mer du CESE ».
De son côté, François-Noël Buffet, ministre des Outre-mer, recevait lundi 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes instaurée par l’ONU en 1999, le rapport de Justine Bénin contre ces violences en Outre-mer. Rapport sur les violences intrafamiliales que l’ancienne coordinatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en Outre-mer avait présenté le 11 octobre dernier et qui comprend 44 recommandations.
Ce rapport a poussé plusieurs députés à proposer un amendement (encore en traitement) à au projet de loi de finances 2025 pour renforcer les moyens alloués à la lutte contre les violences intrafamiliales dans les Outre-mer, en tenant compte des spécificités socio-économiques et culturelles de ces territoires. Dans son exposé sommaire, l’amendement, qui se réfère au rapport du CESE, énumère quelques exemples : « en Polynésie française, 17 % des femmes déclarent avoir subi des agressions physiques dans le cadre de la relation conjugale, et ce chiffre monte à 19 % en Nouvelle-Calédonie. En Martinique, 22,3 % des femmes ont déclaré être victimes de violences psychologiques au sein du couple, et 7,6 % de violences sexuelles ». Il souligne également les difficultés dans ces territoires ultramarins, d’accès aux structures de protection, telles que les hébergements d’urgence et les dispositifs d’accompagnement des victimes, notamment le manque de centres d’accueil mère-enfant dans des régions comme la Guadeloupe et la Guyane, et la faiblesse des moyens de soutien aux victimes, ce qui accroît leur vulnérabilité. « À titre d’exemple, le Conseil départemental a lancé le réseau VIF Guadeloupe, une initiative de lutte contre les violences intrafamiliales qu’il faut, plus que jamais, aujourd’hui soutenir et développer dans l’ensemble des pays des océans dits Outre-mer » poursuivent les députés. Ils demandent donc d’augmenter le budget dédié à la création de structures d’accueil et d’hébergement pour les victimes de violences intrafamiliales dans les pays des océans dits Outre-mer, en priorité dans les zones les plus touchées, de renforcer les actions de prévention et de sensibilisation aux violences intrafamiliales, avec un focus particulier sur les jeunes et les communautés locales, de faciliter l’accès au « téléphone grave danger » et autres dispositifs de protection pour les femmes en situation de danger, en tenant compte des contraintes techniques spécifiques à ces territoires.
A la réception du rapport de Justine Bénin, le ministre des Outre-mer a qualifié d’« alarmant » l’état des lieux qui y est dressé. « C’est un constat qui ne peut rester sans réponse ; les propositions du rapport seront examinées avec la plus grande attention, pour que « les Outre-mer soient à la pointe de la lutte contre les violences à l’encontre des femmes » » a-t-il ajouté. Le ministre des Outre-mer a salué la qualité du rapport et le travail des pouvoirs publics et des associations en faveur des femmes dans les territoires ultramarins. « La Réunion est, par exemple, avec le Val-d’Oise, les Bouches-du-Rhône, et la Côte-d’Or, un des quatre départements expérimentateurs du pack « nouveau départ » » indique le ministère des Outre-mer. « Mais soyons clairs : il faut aujourd’hui aller plus loin : « encore mieux renforcer la prévention ; encore mieux détecter les signaux de violence, encore mieux accompagner les victimes et encore mieux prendre en charge et sanctionner les auteurs » a annoncé le ministre.
À ce titre, François-Noël Buffet, en lien avec Salima SAA, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, va demander la traduction du « violentomètre » dans des langues régionales et le référencement des associations ultramarines sur le « site stop-violences-femmes.gouv.fr », dans les plus brefs délais. Créé en Amérique latine, le violentomètre a été repris et adapté en 2018 par l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s). C’est un outil permettant de « mesurer » si une relation amoureuse, professionnelle ou universitaire est basée sur le consentement et ne comporte pas de violences. Les 23 questions qu’il pose permettent de déterminer si une relation est saine ou si au contraire elle est violente. Présenté sous forme de règle graduée, le violentomètre rappelle ce qui relève ou non des violences à travers une graduation colorée par 23 exemples de comportements types qu’un partenaire ou interlocuteur professionnel peut avoir. Il indique notamment : en vert les cas où la relation est saine, en jaune et orange les cas où la personne doit être vigilant·e car elle fait déjà face à une situation violente, en rouge les cas où elle fait face à une situation dangereuse et où elle doit se protéger et demander de l’aide. Ci-dessous voici le violentomètre conçu par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, l’association En Avant Toute(s) et la Mairie de Paris.