Les départements et régions d’outre-mer sont confrontés à des difficultés particulières dans le domaine de la gestion foncière. Selon l’Agence nationale pour l’information sur le logement, 40 % des biens privés ont donné lieu à une indivision bloquée. D’où la loi Letchimy qui vise depuis 2018 à faciliter la résolution de certaines indivisions successorales dans les DROM-COM et à stimuler la réhabilitation des logements à l’abandon. Mais de nombreux problèmes persistent. Si bien qu’en avril dernier, le président du conseil exécutif de la CTM a demandé la mise en place d’une conférence sur le foncier en Martinique.
Après avoir travaillé plusieurs années en Hexagone dans le domaine de la gestion de patrimoine et de la succession, William Raphose, Lamentinois de naissance, a décidé de revenir au péyi pour apporter son expérience à ses compatriotes aux Antilles et en Guyane en tant que mandataire en succession. Interview.
En quoi consiste votre métier ?
Lors de la perte d’un proche, les discussions autour de la succession ravivent souvent des rancœurs familiales. Aux Antilles, aborder ces questions reste un sujet délicat, rarement discuté en amont. Laissant certains d’entre eux désemparés face à la complexité administrative et d’autres seuls dans la gestion des conflits familiaux.
Avant toute chose, je recommande de réaliser une planification successorale de leur vivant pour anticiper les problématiques successorales que leurs héritiers pourraient rencontrer. Cela inclut la recherche des actes de propriété, rappeler les droits du conjoint ou des enfants, et réfléchir à la répartition du patrimoine immobilier ou financier tout en respectant l’ensemble des héritiers, faisant foi devant Notaire, afin d’assurer une transmission de leur patrimoine dans les meilleures conditions possibles et respecter leur souhait quand ils fermeront les yeux.
Toutefois, c’est souvent après décès que j’interviens en tant qu’expert en règlement de succession. Mon rôle est d’accompagner les familles dans ce processus en anticipant ou en résolvant les conflits entre héritiers, en veillant à un partage équitable des biens et des terres, et en apaisant les tensions sans oublier de représenter les héritiers en cas d’absence sur le territoire.
Je peux être nommé « mandataire conventionnel » par un ou plusieurs indivisaires ou « mandataire successoral » par un juge lors d’une démarche initiée par l’avocat auprès du tribunal. Bien que les statuts diffèrent, ma mission reste inchangée : gérer la succession avec discernement, droiture et impartialité. Je suis le trait d’union entre les indivisaires (héritiers) et le notaire. Je rapporte à ce dernier, un dossier complet et les doléances des héritiers dans un climat de confiance et de bonne entente. Et comme je parle le même langage que les notaires, les échanges sont efficaces ce qui finalise plus rapidement les successions.
Quelles sont selon vous les principales difficultés auxquelles la Martinique est confrontée en matière de succession ?
La Martinique, comme l’ensemble des Antilles, est confrontée à des problématiques liées aux actes de propriétés. De nombreuses personnes se disent héritiers de terrains ou de biens immobiliers sans acte officiel, en raison de traditions où les terres se transmettaient de main en main, sans formalisation légale et ce sur plusieurs générations. De plus, certains indivisaires s’approprient indûment la maison familiale, construisent sur des terrains sans concertation, mais aussi, ceux qui refusent délibérément de régler les successions par rancoeur familiale.
Par ailleurs, de nombreux biens immobiliers restent vacants et abandonnés aux Antilles, souvent à cause de situations d’indivision successorale où certains héritiers sont introuvables. À cela s’ajoute la complexité liée à la reconnaissance des enfants illégitimes, qui, bien que connus, peinent à justifier leur parenté avec le défunt, notamment en raison du refus de certains proches de s’impliquer.
Quelles solutions envisagez-vous ?
Simplifier les démarches administratives : travailler étroitement avec les magistrats, les notaires et géomètre-experts pour rendre les procédures de règlement de succession en cas de conflits plus faciles et rapides pour tout le monde.
Créer un registre local des héritiers : mettre en place une base de données régionale où chaque famille pourrait enregistrer les informations sur les héritiers, ce qui rendrait plus facile de les retrouver au moment de la succession.
Encourager la rédaction de testaments : inciter mes clients à faire un testament clair pour que leurs biens soient répartis comme ils le souhaitent après leur décès.
Faciliter la communication entre les héritiers : organiser des réunions familiales pour discuter des biens et des souhaits de chacun pour éviter des conflits qui perdurent dans le temps.
Mais aussi que tous les Antillais se posent les questions suivantes : « êtes-vous toujours en bonne entente avec vos frères et sœurs après le décès d’un proche ? Comment allez-vous gérer les conflits familiaux ? Combien de temps souhaitez-vous attendre pour prétendre à votre héritage ? Qui souhaitez-vous voir gérer votre succession, un membre de votre famille ou un professionnel en succession ? Je rappelle souvent à nos compatriotes : « voulez-vous que votre enfant hérite d’un problème ou d’un bien immobilier ? ». Agir rapidement et en toute connaissance de cause est la clé pour protéger votre héritage et assurer une transmission sereine à la génération suivante, « Pran douvan, avan douvan pran’w ».
Enfin, je suis aussi particulièrement attaché à une chose, « la protection du patrimoine martiniquais ». Nos aïeux, issus de l’époque de l’esclavage, ont acquis ou reçu des terres avec de grands sacrifices, et il est essentiel que celles-ci ne soient pas abandonnées ou dilapidées. Pour préserver et valoriser ce patrimoine immobilier martiniquais pour les générations futures, il serait pertinent d’ajouter une clause de « non spéculation pendant 15 ans » sur les actes de vente ou de soulte. Cette mesure garantirait que nos terres restent accessibles aux Martiniquais au fil du temps.