Rassemblés mi-novembre sur l’île de la Réunion dans le cadre des rencontres des solidarités Outre-mer, les maires ultramarins, leurs adjoints aux solidarités et les membres de l’UNCCAS (Union nationale des centres communaux d’action sociale) ont rédigé un manifeste de 44 pages pour l’égalité sociale en Outre-mer et ont formulé cinq propositions.
“Ce manifeste est la première pierre de l’ambition de l’Unccas pour les territoires ultramarins. Il est notre plaidoyer pour un plan d’urgence en outre-mer”, affirme en introduction Luc Carvounas, le président de l’UNCCAS. Durant trois jours (15,16 et 17 novembre), les maires d’outre-mer, leurs adjoints aux solidarités et les membres de l’UNCCAS ont exposé les difficultés en termes de droits sociaux dans nos territoires. Leurs débats ont donné lieu à ce manifeste de 44 pages.
Pour les représentants de l’action sociale, l’accès aux droits n’est pas toujours acquis dans nos territoires. “Si la plupart des droits sociaux ont été étendus aux départements d’outre-mer, l’accès à ces dispositifs de compensation des inégalités reste incomplet. Isolement, maîtrise des outils de communication, complexité des procédures…, les raisons sont multiples”, établit le manifeste. L’accès à une alimentation de qualité n’est pas toujours garantie dans les Outre-mer, notamment aux Antilles avec la problématique de la pollution des terres et de l’eau au chlordécone. Le coût des denrées alimentaires impacte également la qualité de l’alimentation.
“Sous le soleil des tropiques, vivre coûte cher. Contrairement aux idées reçues, les revenus plus faibles observés en outre-mer ne sont pas compensés par les prix à la consommation. 9% de plus que dans l’Hexagone à La Réunion et jusqu’à 16% en Guadeloupe. Ces écarts dans les prix observés en 2022 sont encore plus marqués pour les produits alimentaires : près de 42% plus chers en Guadeloupe. Même en tenant compte des habitudes de consommation locales, le panier moyen reste plus cher d’environ 30%. Et cet écart ne cesse de se creuser depuis 2010”, peut-on lire. L’UNCCAS pointe également la responsabilité du transport maritime, “activité stratégique en outre-mer sur laquelle le groupe privé CMA-CGM dispose d’une position dominante, et la grande distribution, contrôlée par un nombre restreint d’acteurs”.
Le droit aux infrastructures numériques et la lutte contre la fracture numérique a également été abordée. Car dans nos territoires le prix des abonnements mobile et internet sont bien plus élevés que dans l’Hexagone. La maîtrise du français et le faible niveau de diplôme constituent également un frein à l’égalité sociale dans nos territoires où au moins un jeune sur quatre éprouve des difficultés à lire et comprendre un texte, d’après le manifeste. “La situation est très contrastée suivant les régions : ces difficultés concernent 26,4% des jeunes de 16 à 25 ans à La Réunion, 28,9% en Martinique, 30,4% en Guadeloupe, 51,8% en Guyane et jusqu’à 55,7% à Mayotte (dans l’Hexagone, ces proportions varient de 6% à Paris à 15,7% dans l’Aisne). Aux Antilles comme à La Réunion, en 2020, la part des habitants de plus de 15 ans titulaires du Bac ou d’un diplôme supérieur est inférieure à la moyenne nationale, mais finalement assez proche d’autres régions françaises comme la Normandie. En revanche, la proportion d’adultes sans diplôme est beaucoup plus importante : 40% en Guadeloupe, 42% à La Réunion contre 27% à l’échelle nationale”, observe le document. Le modèle familial souvent monoparental dans nos territoires (42% des familles en Guadeloupe en 2018), avec des femmes vivant seules avec leurs enfants, favorise les situations d’inégalité. “Devoir s’occuper seule d’une famille n’est pas toujours conciliable avec un emploi, ce qui explique un taux de chômage plus élevé et une précarité plus importante dans les familles monoparentales. D’autre part, les grossesses précoces, qui restent fréquentes à La Réunion et surtout en Guyane, n’impliquent pas seulement des risques médicaux accrus. Pour les jeunes mères, c’est aussi synonyme de ruptures dans la scolarité”, établit l’UNCCAS qui pointe également la vulnérabilité des mineurs face aux violences familiales et leur prise en charge défaillante. Aux Antilles (la Martinique et la Guadeloupe figurant parmi les territoires les plus âgés de France), la question de l’accompagnement du grand âge et la prévention de la perte d’autonomie est particulièrement prégnante. “L’augmentation de l’espérance de vie ne s’est pas accompagnée, en outremer, d’une amélioration des conditions de vieillissement”, déplore l’UNCCAS. “Les solidarités entre générations sont fortes et rendent parfois possible les maintiens à domicile. La part des familles multigénérationnelles, ces foyers qui abritent des personnes âgées avec leurs enfants, voire leurs petits-enfants, sont plus nombreuses aux Antilles que dans l’Hexagone. Mais leur nombre a aussi tendance à diminuer : le départ des jeunes adultes à plusieurs milliers de kilomètres contribue à affaiblir ces liens familiaux et épuise le vivier des « aidants »”, poursuit l’Union.
Pour l’UNCCAS, il faut garantir le droit au logement dans nos territoires, car en Guadeloupe le nombre de logements insalubres recensés est de 11.000, 7.000 en Martinique et 5.300 en Guyane. “Sur des logements de qualité comparable, les loyers du secteur libre sont plus élevés que dans l’Hexagone, mais les logements sociaux restent plus abordables (sauf en Guyane). La taille des habitations peut également paraître insuffisante, principalement en Guyane, où 57% de la population vit dans des logements « surpeuplés », offrant une surface habitable par personne inférieure à 18 m². Cette situation s’observe principalement dans les communes de l’Oyapock et du Maroni, et touche le plus souvent des ménages sans emploi (60% contre 46% de l’ensemble des ménages), sans diplôme (58% contre 40%) et nées à l’étranger (61% contre 43%)”, précise le document qui s’appuie sur le rapport du mal-logement de la fondation Abbé Pierre.
La santé concentre énormément d’inégalités d’après l’UNCCAS, en effet la santé globale des habitants des DROM est plus fragile que dans l’Hexagone avec notamment davantage de maladies chroniques. “La précarité entraîne également des renoncements aux soins plus fréquents. En raison du prix plus élevé des médicaments et du matériel thérapeutique, se soigner coûte jusqu’à 17% de plus en outre-mer. Au regard de la population, il y a trois fois moins de places d’accueil pour adultes handicapés, en foyers ou en établissement et service d’aide par le travail (Esat)”, établit le manifeste. La pression migratoire que subit notamment la Guyane accentue les inégalités où “ les dispositifs officiels de prise en charge de ces migrants sont quasiment inexistants”, alerte l’UNCCAS. Dans ce territoire, les places en hébergement d’urgence manquent et créent des conditions d’accueil difficiles qui “entraînent à la fois une connaissance approximative des besoins et génèrent des situations de détresse qui s’ajoutent à la situation déjà préoccupante des populations locales. En Guyane, le nombre d’enfants non-scolarisés est ainsi largement sous-estimé (2.300 selon le rectorat, 5.900 selon l’Insee)”, peut-on lire.
L’UNCCAS souhaiterait également favoriser l’accès à des emplois non-délocalisables sur un marché du travail difficile avec moins de diversité, entrainant un exode des jeunes. En Guadeloupe, 45% des jeunes adultes entre 20 et 34 ans vit en dehors de l’archipel, et la part des jeunes inoccupés aux Antilles est deux fois plus importante que dans l’Hexagone.
5 propositions pour l’égalité sociale Outre-mer
Les rédacteurs du manifeste ont formulé cinq propositions pour améliorer l’égalité sociale dans nos territoires. La première consiste à créer une agence de développement des territoires ultramarins, afin de coordonner des programmes de développement économiques et sociaux structurels, d’évaluer la mise en œuvre effective de la loi, des crédits et des impacts à court et long terme des actions engagées sur ces territoires, d’harmoniser les analyses des besoins sociaux ultramarins, de concevoir une plateforme numérique de bonnes pratiques, d’être en lien avec l’observatoire du social ultramarin et de porter les projets à financements européens. “Afin de prendre le contre-pied d’un retard historique et d’un sous-investissement chronique de l’État pendant des décennies, les outre-mer doivent ainsi devenir des territoires prioritaires des politiques publiques de cohésion sociale”, indique le manifeste. La deuxième préconisation est de prévoir des mesures de rattrapage et l’application du principe de différenciation par l’État via des outils adaptés. L’UNCCAS préconise également de mettre en place des dispositifs d’exception sur le concept des régions ultrapériphériques européennes, pour des territoires “confrontés à des problématiques sociales d’exception”. Pour lutter contre la grande pauvreté, l’UNCCAS conseille de créer un fonds de dotation des solidarités outre-mer auquel les multinationales implantées dans nos territoires contribueraient. Enfin, les rédacteurs du manifeste souhaiteraient que les élus locaux soient soutenus en matière d’ingénierie de projet. “Les collectivités territoriales manquent de capacités d’ingénierie administrative et financière. Ces compétences sont pourtant essentielles pour passer des marchés publics, monter des projets d’équipements complexes – du fait notamment de l’éloignement et des aléas climatiques -, mobiliser des fonds européens ou répondre à des appels à manifestation nationaux. Ce besoin de compétences est primordial dans la concrétisation de politiques sociales locales à la hauteur des enjeux. De même, pour encourager les jeunes à rester au pays et développer les emplois de proximité, nous appelons de nos vœux la mise en œuvre d’une politique régionale de formation en ingénierie sociale pour une montée en compétences des jeunes et des cadres locaux”, conclut le manifeste.