A l’occasion de la journée mondiale du diabète, Santé publique France consacrait son bulletin épidémiologique hebdomadaire du 14 novembre à la publication de quatre articles sur le diabète en Outre-mer. Ils mettent en évidence une prévalence du diabète en Martinique, Guadeloupe, Guyane et à La Réunion deux fois supérieure à celle de l’Hexagone et une population de personnes vivant avec un diabète aux spécificités marquées.
« La prévalence du diabète de type 2 (DT2) est particulièrement élevée dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) et les complications chroniques y sont plus fréquentes » avancent les chercheurs de Santé Publique France menés par Sandrine Fosse-Edorh, épidémiologiste. Le diabète est une affection métabolique chronique qui touche 537 millions de personnes dans le monde. A l’occasion de la journée mondiale du diabète, le 14 novembre dernier, l’agence nationale de la santé publique consacrait son Bulletin épidémiologique hebdomadaire à la publication de quatre articles sur le diabète en Outre-mer. Le premier, intitulé « Caractéristiques, état de santé et recours aux soins des personnes présentant un diabète de type 2 résidant en outre-mer », consignait les résultats de l’étude Entred 3. Le deuxième consistait en l’exploitation des résultats du Baromètre de Santé publique France de 2021 sur la prévalence du diabète connu dans quatre départements et régions d’outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. Quant aux deux derniers, ils étaient exclusivement consacrés à l’étude de cette pathologie à La Réunion.
Selon le Baromètre de Santé publique France, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement en France s’élevait à 5,4% en 2021. En revanche celle du diabète connu s’élevait à 12,0% en Guadeloupe, 11,5 % en Martinique, 11,6 % en Guyane et 13,6 % à La Réunion. « En 2021, par rapport à la France entière et en structure d’âge équivalente, les taux de prévalence du diabète traité pharmacologiquement étaient 1,9 fois plus élevés à La Réunion, 1,8 fois en Guadeloupe et 1,5 fois en Guyane et Martinique » comparent les auteurs de l’étude Entred 3. « Il est probablement nécessaire d’ajouter à ces pourcentages la part des personnes qui se sont déclarées non diabétiques, mais ayant déclaré qu’un médecin leur avait déjà dit qu’ils avaient « un petit diabète » ou « un début de diabète, mais pas trop grave ». Les auteurs de cette étude estiment cette part à 3 à 4 % » précise François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France, dans son éditorial.
« La survenue des complications graves, souvent plus fréquentes dans ces territoires, vient également alourdir le fardeau du diabète. Pour exemple, en population diabétique, les hospitalisations pour amputations de membres inférieurs étaient, respectivement 1,5 et 1,3 fois plus fréquentes en Martinique et à La Réunion, en 2021 par rapport à la France entière ; les hospitalisations pour accident vasculaire cérébral (AVC) étaient 1,5 fois plus fréquentes à La Réunion et les hospitalisations pour insuffisance rénale chronique terminale, 2 fois plus fréquentes en Martinique, 1,7 fois à La Réunion, 1,6 en Guyane et 1,3 en Guadeloupe » poursuivent-ils dans leur introduction.
Ce qui motive les chercheurs de cette étude, ce n’est pas seulement d’établir un constat mais de comprendre les spécificités de cette situation épidémiologique et de développer des actions de prévention. En effet, comme ils le soulignent : « les facteurs de risque du DT2 et les complications de tous les types de diabète sont en grande partie modifiables, rendant ce fardeau évitable ». Cette troisième édition de l’étude Entred (échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques) vise notamment à dresser un état des lieux du DT2 dans quatre DROM, de décrire des populations aux profils démographique, socio-économique, métabolique très spécifiques. « Elle confirme également la fréquence élevée des facteurs de risque et des complications du diabète principalement à La Réunion et en Guyane. Intégrés dans un contexte culturel, social et sanitaire, ces résultats permettront d’aider les décideurs à adapter les politiques publiques en matière de prévention, d’accompagnement et de prise en charge des personnes atteintes d’un diabète de type 2 en outre-mer afin d’en réduire le fardeau » concluent-ils.
Un diabète aux spécificités marquées dans les DROM
Parmi les spécificités ultramarines des personnes atteintes du diabète, les chercheurs notent la prédominance féminine. La proportion de femmes était plus élevée en Guadeloupe (59%), Martinique (59%), Guyane (57%) et à La Réunion (54%) que dans l’Hexagone (45%). « En outre, si l’âge moyen aux Antilles (68 et 67 ans, en Guadeloupe et en Martinique, ndlr) était proche de celui dans l’Hexagone (68 ans), les résidents de Guyane et de La réunion étaient plus jeunes (61 et 63 ans), avec un âge au diagnostic du diabète environ cinq ans plus jeune. Par ailleurs, les indicateurs de niveau socio-économique reflètent une population plus défavorisée, notamment en Guyane et à La Réunion, avec des fréquences élevées de personnes n’ayant jamais été scolarisées et de personnes n’ayant jamais travaillé ». Les chercheurs considèrent qu’une étude spécifique devrait être menée sur l’impact de ces inégalités sociales très marquées sur l’état de santé des personnes atteintes d’un diabète, en lien avec le recours aux soins.
Concernant l’état de santé, les auteurs de l’étude Entred 3 constatent que leurs résultats confirment des tendances déjà observées mais pas de différences significatives selon les territoires concernant les complications pathologiques. Leur étude apporte en outre des informations nouvelles sur les complications ophtalmologiques. Ainsi la fréquence de la rétinopathie auto-déclarée est supérieure en Martinique et à La Réunion.
Par ailleurs, ils notent que la glycémie était moins bien contrôlée dans les DROM que dans l’Hexagone, en particulier en Guyane et à La Réunion.
« Les autres facteurs de risque étaient proches de la situation observée dans l’Hexagone, voire moins fréquents comme la consommation d’alcool et le tabagisme, à l’exception de La Réunion. Quant à la corpulence, alors que l’obésité en population générale est plus fréquente dans les DROM que dans l’Hexagone, de façon paradoxale, l’IMC moyen des personnes atteintes d’un DT2 était plus faible à La Réunion, en Guadeloupe et en Guyane. En Martinique, il était similaire à celui estimé dans l’Hexagone » soulignent les chercheurs. Et d’ajouter que ces résultats étaient déjà rapportés par Entred 2 où l’hypothèse de mécanismes physiopathologiques spécifiques du DT2 dans ces territoires était émise, conduisant à un risque de développer un DT2 à un niveau d’obésité moindre. Enfin, la prise en charge dans les DROM passe principalement par les médecins généralistes. Le recours aux endocrinologues est rare tandis que celui à un cardiologue est plus répandu. « L’insulinothérapie reste très fréquente quel que soit le territoire ultramarin et supérieure au taux observé dans l’Hexagone » notent les auteurs qui listent ensuite les limites de leur étude : absence d’autres territoires ultramarins fortement affectés par le diabète, la crise du Covid qui a pu affecter le recueil de données.
Toutefois ils considèrent que leur étude est « informative » et apporte une description fine des spécificités du DT2 dans ces quatre territoires ultramarins. « Nous observons des profils démographique, socio-économique, et l’état de santé des personnes atteintes d’un DT2 résidant à La Réunion et en Guyane assez proches et différant de ceux des résidents des Antilles. Les profils de ces derniers semblent davantage se rapprocher de ceux observés dans l’Hexagone. A La réunion et en Guyane, nous constatons un diabète survenant à un âge plus jeune et à un niveau de corpulence moindre, suggérant des susceptibilités génétiques particulières. Ces particularités pourraient, en partie, expliquer le moins bon équilibre glycémique rapporté par notre étude et la fréquence élevée des complications chroniques » rapportent-ils avant de suggérer le repérage précoce de ces personnes au profil atypique (jeunes et de corpulence normale) afin de les orienter vers un endocrinologue pour réaliser un phénotypage de leur diabète afin d’améliorer leur prise en charge et donc leur équilibre glycémique et prévenir la survenue de complications.
Pour l’ancien directeur général de Santé publique France, cette étude souligne l’importance de bien comprendre les représentations, la motivation et les compétences des individus à utiliser l’information qui leur est donnée, en sachant les situer dans leur contexte et environnement, notamment sociologique et familial. « Il convient également de ne pas négliger les questions d’éducation thérapeutique du patient, de prise en charge et d’organisation des soins. Enfin, il faut prendre en compte les évolutions alimentaires observées dans les DROM, qualifiées par les experts de transition alimentaire : recul des féculents et tubercules traditionnels, des végétaux, et augmentation de consommation des protéines animales, des sucres et des produits transformés » prévient François Bourdillon dans son éditorial. Et d’ajouter : « cet éditorial est l’occasion de rappeler que les produits alimentaires d’outre-mer sont volontairement plus sucrés que dans l’Hexagone ». Puis de conclure : « toutes ces nouvelles données, je l’espère, donneront l’opportunité de franchir une étape de prévention en réinterrogeant l’application de la loi Lurel sur le sucre, mais aussi le développement dans les outre-mer du Nutri-score, de l’encadrement de la publicité aux heures de grandes écoutes des enfants, du renforcement de la taxation des boissons sucrées, de la taxation de manière effective des produits particulièrement gras, sucrés ou salés (ceux qui sont les plus mal classés par le Nutri-score), de l’amélioration de l’offre alimentaire, de l’incitation à l’activité physique et du soutien attendu des initiatives locales prometteuses, comme le programme réunionnais de nutrition et de lutte contre le diabète, ou encore « La Martinique bouge », et bien d’autres… ».