La commission des lois du Sénat a adopté le rapport d’information sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin intitulé « Quatre territoires de la République dans la Caraïbe » et déposé le 12 juillet par les quatre sénateurs rapporteurs qui ont formulé 35 propositions.
Examiner la situation institutionnelle et administrative de la justice et de la sécurité dans les quatre collectivités françaises des Antilles. Tel était l’objectif d’une mission de la commission des lois du Sénat qui a effectué un déplacement du 10 au 18 avril 2023 en Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Cette mission, constituée en octobre 2022, et menée par François-Noël Buffet (président de la commission, sénateur du Rhône (Les Républicains)), Henri Leroy (sénateur des Alpes Maritimes (Les Républicains), Philippe Bonnecarrère (vice-président de la commission, sénateur du Tarn (Union centriste)), Marie-Pierre de la Gontrie (vice-présidente de la commission, sénatrice de Paris (Socialiste, Écologiste et Républicain)) et Cécile Cukierman (Vice-présidente de la commission (sénatrice de la Loire (Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste)), après l’appel de Fort-de-France et dans l’attente de la réunion – déjà reportée à deux reprises – du Comité interministériel des outre-mer, a fait l’objet d’un rapport d’information déposé le 12 juillet 2023.
« Au-delà de leur diversité, une unité forte demeure entre ces quatre territoires, situés à près de 7 000 kilomètres de l’Hexagone. Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. En outre, ces territoires ont tous besoin d’une action forte de l’État, qui doit non seulement assurer efficacement ses missions régaliennes, mais aussi accompagner les collectivités dans leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l’expression de leur identité » a résumé François-Noël Buffet en introduction de sa présentation du rapport lors de son examen devant la commission le jour de son dépôt. Au terme de leurs déplacements et de leurs nombreux échanges, les rapporteurs en sont convaincus : « la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans ce contexte, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d’autres actions, l’efficacité de l’action publique locale au bénéfice des citoyens ».
Une relation ambivalente avec l’Etat
Avant de formuler 35 propositions pour ces territoires, les sénateurs-rapporteurs soulignent la relation ambivalente que les collectivités antillaises entretiennent avec l’État. « Il y a incontestablement une méfiance à l’égard de l’État, en particulier chez nos concitoyens de Guadeloupe et de Martinique. Les collectivités restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l’esclavage. L’histoire est là, il ne faut pas la nier, et elle est toujours présente. Cette part de l’histoire altère encore aujourd’hui les relations d’une partie de la population et d’une partie de la classe politique avec l’État et ses représentants. L’État est ainsi parfois présenté́ comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par les institutions locales et leurs représentants, ainsi que les populations elles-mêmes » notent-ils. Ce à quoi s’ajoute un double facteur dénoncé par une partie de la population comme la poursuite d’une administration coloniale : la présence de « métropolitains » à des fonctions élevées dans l’administration de l’État et la difficulté́ pour les forces vives ultramarines, une fois devenues fonctionnaires, de revenir sur leur territoire d’origine. Et le scandale du chlordécone ne peut qu’aggraver ce sentiment de défiance qui explique en partie les tensions survenues pendant la crise sanitaire du Covid-19. « Cette méfiance généralisée d’une partie de la population – je parle bien d’une partie de la population – face à l’action de l’État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste dans une partie de la classe politique ou syndicale » ajoute le sénateur du Rhône qui souligne aussi que conformément à l’Appel de Fort-de-France, les collectivités souhaitent malgré tout inscrire leur avenir dans la République. Pour les rapporteurs, la question statutaire, bien que majeure « ne doit pas occulter les demandes, plus urgentes, d’adaptation des normes et d’amélioration des actions de l’État sur ces territoires, portées par les élus locaux ».
Ils constatent par ailleurs, sans que cela ne leur apparaisse contradictoire pour autant, que le manque de l’État est souvent déploré au quotidien. « La faiblesse, avérée ou non, de l’État déconcentré́ est présentée par certains acteurs politiques ou syndicaux comme une nouvelle preuve d’un traitement dégradé́, sinon d’un rabaissement, des collectivités françaises des Caraïbes par rapport à l’Hexagone. La demande d’une présence plus importante de l’État est donc aussi perçue comme l’accomplissement d’un devoir moral de ce dernier, et comme la juste réparation de ce qu’il s’est passé sur ces territoires » apprécie le président de la commission.
La mission indique dans la synthèse de son rapport que ce manque de l’État se manifeste particulièrement dans la demande relayée par l’ensemble des acteurs, politiques, économiques, sociaux ou culturels, d’une meilleure sécurité́ au quotidien et d’un traitement judiciaire plus rapide et efficace « pour que la promesse républicaine se matérialise en actes concrets y compris à des milliers de kilomètres de l’hexagone ». Et constate la faiblesse des moyens de l’État dans ces territoires face à une situation sécuritaire « particulièrement dégradée » due à leur porosité aux influences criminelles extérieures, leur exposition au trafic international de stupéfiants et une circulation d’armes importante. En outre, les gendarmes mobiles qui sont présents en permanence sur ces territoires font davantage « de la sécurité publique que du maintien de l’ordre » et les équipements des forces de sécurité sont inadaptés aux enjeux. La mission préconise donc de « renforcer urgemment les moyens, singulièrement nautiques et héliportés, des forces de sécurité intérieure, en particulier au sein de l’antenne de l’OFAST de Fort-de-France ». De plus, pour faire face à la forte activité pénale des juridictions, la commission sera vigilante au plein déploiement des recrutements du ministère de la justice. Les rapporteurs considèrent par ailleurs que la question de la création d’un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée. Elle ajoute enfin qu’il faut renforcer la coopération avec les îles avoisinantes dans l’ensemble des matières régaliennes.
Des territoires aussi caribéens
« La spécificité́ caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques conduites par l’État dans ces territoires » déplore la mission qui considère que l’insertion de ces collectivités et la présence française dans la Caraïbe doit être renforcée. D’où l’intérêt de soutenir l’adhésion de la Martinique à la Caricom mais aussi de doter les préfets de Martinique et Guadeloupe d’un conseiller diplomatique et de rendre plus facile la possibilité pour les collectivités de négocier des accords internationaux. Les rapporteurs estiment en outre qu’il est « indispensable de dépasser la relation exclusive collectivité́-hexagone pour l’enrichir d’initiatives locales de coopération avec les îles avoisinantes ». Ils préconisent de développer des coopérations de projets (sargasses, cyclones…) et de permettre aux collectivités volontaires de disposer de représentants au sein des organisations de coopération régionales. Enfin concernant Saint-Martin, de permettre à la partie française de conclure des accords locaux de gestion commune avec la partie hollandaise (aéroport, eau…).
Pour une action publique locale efficiente
La mission rappelle que ces collectivités, régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, disposent d’attributions étendues mais que leur action est entravée d’une part du fait de leur situation financière très dégradée (sauf Saint-Barthélemy), en partie en raison de la sous-consommation majeure de crédits pourtant ouverts, et d’autre part à cause d’une pénurie de personnels qualifiés. Les rapporteurs considèrent donc nécessaire de faciliter le retour des agents originaires des territoires ultramarins et de renforcer l’offre locale de formation jugée « insuffisante » et « globalement inadaptée aux besoins ». Ils proposent la création d’un institut régional d’administration pour la zone Antilles-Guyane et de développer l’offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l’île après l’ouragan Irma. « Des partenariats avec les centres de gestion hexagonaux et un recours accru aux programmes du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) permettraient également aux fonctionnaires territoriaux de ces collectivités de monter en compétence. De la même manière, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, l’assistance technique assurée par l’État – notamment par l’entremise de l’Agence française de développement ou Expertise France – devrait être utilisée pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l’expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions » ajoutent-ils.
Les sénateurs de la commission considèrent en outre que l’accompagnement spécifique de l’Etat vis-à-vis des collectivités antillaises et de leurs difficultés, doit être renforcé. Ainsi, le recours à l’ingénierie de l’Etat doit, selon eux, être facilité. Ils proposent de généraliser les plateformes d’appui et, par ailleurs, de permettre à Saint-Martin et Saint-Barthélemy d’adhérer au Cerema (Climat et territoires de demain). Les rapporteurs estiment qu’il est urgent de restaurer les capacités financières locales, comme le permet le COROM.
Enfin, la mission juge indispensable comme le réclame l’Appel de Fort-de-France, d’adapter davantage les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales. Elle suggère de faciliter le développement de projets locaux pour lesquels l’État doit jouer un rôle de régulateur et d’ensemblier de l’action des collectivités territoriales comme pour le Plan Sargasses. Enfin, la mission affirme que l’Etat doit répondre efficacement et concrètement aux défis structurants qui affectent chacun de ces quatre territoires : l’eau en Guadeloupe, le vieillissement en Martinique, le logement à Saint-Barthélemy et la reconstruction port Irma à Saint-Martin.
(Par Fanny Fontan)